Chapitre XIX
Dès son arrivée au château de Bania, Yvain gagna sa chambre. Coupant court aux démonstrations joyeuses de ses deux esclaves, il repoussa Tina qui s’attaquait à son pourpoint.
— Sortez toutes les deux ! Vous resterez devant la porte. J’interdis qu’on me dérange. Vous ne reviendrez qu’à mon appel.
Dès qu’elles eurent évacué la pièce, Yvain s’installa sur un tabouret devant la table et tira de son pourpoint les feuilles prises dans la construction métallique. Il commença à lire les premières phrases. Nombre de mots étaient incompréhensibles mais plus il avançait dans le texte plus il percevait le sens des phrases comme S’il retrouvait des souvenirs très lointains.
Toutefois, une bonne heure fut nécessaire pour arriver à comprendre la totalité du récit consigné sur ces pages.
Septembre
Audrey et moi avons quitté la Terre depuis quinze jours. Notre mission est d’explorer une planète terramorphe dans le système de référence YC 3982. Le voyage durera environ sept à huit mois en fonction de notre vitesse de déplacement dans le subespace.
Une nouvelle stupéfiante. Audrey vient de m’annoncer qu’elle est enceinte de deux mois. Elle assure ne pas avoir fait d’erreur dans son traitement contraceptif. Nous avons longuement discuté de cette situation. Depuis des années, nous désirions avoir un enfant mais nos diverses missions ne nous en ont jamais laissé le temps. Audrey devrait accoucher avant que nous arrivions à destination. Le bloc médical du vaisseau est bien équipé et l’ordinateur pourra se charger de l’accouchement puis de soigner le nouveau-né pendant que nous effectuerons notre mission d’observation.
Janvier
Le voyage se poursuit sans problème et Audrey s’arrondit doucement mais sûrement. D’après les examens de l’ordinateur du bloc médical, ce sera un garçon. Nous discutons du prénom.
Avril
Je viens d’assister à l’accouchement d’Audrey. J’étais inquiet en voyant s’agiter les divers tentacules du robot médecin mais tout s’est bien déroulé. C’est effectivement un bon gros garçon. Nous avons choisi de l’appeler Peter. Je n’ose imaginer la réaction de mon chef quand il nous verra revenir à trois. Nous risquons un blâme et même un renvoi du service.
L’enfant a maintenant six jours. Il était temps qu’il naisse car nous arrivons à destination. Nous émergerons du subespace dans trois heures.
Une affreuse catastrophe ! Alors que nous nous installions sur une orbite basse autour de la planète, plusieurs météorites ont réussi à franchir notre écran protecteur. Les dégâts paraissent importants. Audrey et moi allons en faire l’inventaire…
C’est pire que ce que nous avions imaginé. Les propulseurs sont hors d’usage et nous ne pouvons plus manœuvrer. La soute contenant le module de survie est également détruite. Il ne nous reste plus que la petite sonde destinée à faire des prélèvements sur le sol.
Nouvelle catastrophe. Le transmetteur subspatial est en panne. Les antennes extérieures ont été détruites. J’ai voulu aller les réparer mais nous n’avons plus de scaphandres pour effectuer une sortie dans l’espace. Ils étaient rangés dans une des soutes qui a été détruite. Nous ne pouvons plus demander des secours à la Terre. En fait, seuls le poste de pilotage et la partie avant du vaisseau ont été épargnés.
Quatre jours se sont écoulés depuis la collision. Le bilan est de plus en plus désastreux. Seul le système anti-gravité pour l’atterrissage est encore en état de marche. Malheureusement, d’après les calculs de l’ordinateur, il faudra attendre dix à treize ans pour que la friction sur les couches hautes de l’atmosphère entraîne notre astronef vers le sol, comme c’était le cas autrefois pour les satellites artificiels qui gravitaient autour de la Terre. Or, l’appareillage de génération de l’oxygène est également en panne. Nous n’avons de réserve que pour moins d’un mois. Ensuite, ce sera une inexorable asphyxie. Je pense à notre fils Peter et je suis désespéré.
Audrey a eu l’idée d’utiliser la seule sonde qui nous reste. Nous avons passé deux jours à la modifier. Elle pourra déposer Peter sur le sol de cette planète. Nous avons choisi comme lieu d’atterrissage une région habitée, espérant ainsi qu’il pourra être trouvé rapidement. Malheureusement, c’est la seule chance de survivre que nous pouvons lui donner.
J’ai tenu à induire dans son cerveau les rudiments de notre langue. Si, par miracle, il rencontre un de nos compatriotes, j’espère qu’il pourra ainsi communiquer. Audrey a réussi à stimuler ses défenses immunitaires pour l’aider à lutter contre les possibles infections locales. Nous ne pouvons faire plus, compte tenu de son très jeune âge.
La sonde est partie depuis plusieurs heures et vient de se poser sur le sol dans la région choisie. Peter sera-t-il recueilli et quel sera son destin ?
Nous éprouvons de plus en plus de difficultés à respirer. Nous avons décidé de nous donner la mort, jugeant cruel et inutile de nous voir souffrir et agoniser. Le robot qui reste est programmé pour évacuer nos corps dans l’espace après notre mort. Normalement, notre vaisseau devrait se poser intact sur le sol dans une bonne dizaine d’années. Ignorant si le générateur atomique résistera au choc, j’ai préféré transcrire sur du papier mon récit plutôt que l’enregistrer.
Dans quelques minutes, nous serons morts. Notre plus grand regret est d’ignorer le devenir de notre fils…
Yvain avait lu trois fois le récit pour arriver à le comprendre mais quelques termes restaient encore obscurs. Des larmes coulaient lentement sur ses joues. Un cri sortit de sa gorge contractée.
— Père, ton fils est vivant !
Il comprenait maintenant ce que sa vieille nourrice lui avait dit sur son lit de mort. Il avait été trouvé non loin du château d’Escarlat dans un berceau métallique qui s’était embrasé dès qu’on l’eut pris. La baronne qui se désespérait de ne pas avoir d’enfant l’avait adopté en affirmant à tous que c’était son fils, tout comme le baron. Ce dernier avait trouvé la mort lors de la première bataille sans pouvoir parler à Yvain.
Un léger grattement à sa porte le fit se redresser. D’un mouvement rapide, il essuya son visage humide. La tête de Tina apparut dans l’entrebâillement.
— Seigneur, votre dîner est prêt, dois-je le faire servir ?
Yvain hocha la tête en murmurant :
— Fais chercher Xil, il me tiendra compagnie.
*
* *
Deux semaines s’étaient écoulées depuis la découverte de la construction métallique. Yvain avait relu chaque jour le récit de son père et avait compris qu’il s’agissait d’un vaisseau capable de voler dans le ciel et de franchir des distances considérables.
Tous les jours, il était sorti du château soit pour visiter des fermes soit pour parcourir les rues de Bania. Il avait noté un changement d’atmosphère bien perceptible. Les volets ne se refermaient plus sur son passage et les habitants le regardaient passer sans inquiétude. Les enfants continuaient à jouer devant son dalka et quelques femmes lui souriaient.
Le forgeron l’avait accueilli en brandissant une épée.
— Seigneur, cette fois l’acier est sans défaut car j’ai suivi vos conseils. Permettez-moi de vous l’offrir.
Il avait accepté le présent tout en sachant qu’il conserverait toujours l’épée qu’il portait. Elle lui avait été donnée par son vieux maître Cartignac et elle ne lui avait jamais fait défaut.
Au château, il avait transformé une pièce en cabinet de travail. Il regrettait de ne pas avoir trouvé un seul livre manuscrit. La lecture n’était certainement pas la distraction favorite de Radjak. À grand peine, il avait réuni quelques feuilles de parchemin, de l’encre et de longues plumes.
En fin d’après-midi Klut se fit annoncer. Il avait un air perplexe.
— Seigneur, plusieurs chefs de tribus souhaitent être reçus.
— Savez-vous le motif de leur visite ?
— Ils n’ont rien voulu me dire mais ils ne semblent pas animés de mauvaises intentions.
— Faites-les entrer, nous n’allons pas tarder à être fixés.
Klut ne tarda pas à revenir escorté de quatre personnes. Il désigna un gaillard noir de poils, très râblé.
— Seigneur, je vous présente Zanak, chef des Aigles.
Le suivant avait un torse puissant et un cou court.
— Voici Orkal, chef des Buffles, Kurly des Ours et Zirkon des Lièvres.
Ce dernier portait un casque orné de deux morceaux de fourrure désignant sans erreur son origine.
— Soyez les bienvenus dans mon château, dit Yvain. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
Après un moment d’hésitation, ce fut Kurly, le plus âgé, qui prit la parole.
— Vous n’ignorez pas qu’au cours des diverses campagnes menées par Radjak, nous avons perdu beaucoup de guerriers. Nos campagnes sont dépeuplées et ce sont souvent les femmes qui doivent assurer les travaux des champs.
— Hélas, il en est de même sur mes domaines.
— Nous avons appris la manière sage dont vous les gérez et le calme règne sur vos terres. De plus, personne n’ose vous attaquer car Ker, votre général, a réussi à regrouper une petite troupe disciplinée. Il n’en est pas ainsi pour nous. Les tribus qui ont rejoint les dernières Radjak ont vu leurs troupes anéanties dans l’ultime bataille. Elles nous rendent en partie responsables de ce désastre. Comme elles n’ont pas eu l’occasion de ramasser un butin, elles exigent que nous leur versions des compensations en or ou en bétail. Plusieurs accrochages ont déjà eu lieu à nos frontières.
— Quand le foin est rare au râtelier, les dalkas se battent, soupira Yvain. Qu’attendez-vous de moi ?
Un silence plana quelques secondes et ce fut Zirkon qui reprit :
— Nous avons pensé… que si nous vous rendions hommage comme du temps de Radjak, vous pourriez rétablir l’ordre. Unies, nos différentes tribus sont encore assez puissantes pour inspirer le respect aux autres. Ce n’est pas le cas si nous restons divisés.
Yvain réfléchit un long moment. La situation le prenait au dépourvu mais ne manquait pas de piquant. Il avait désiré prendre la tête des Loups uniquement pour tenter de trouver son origine. C’était chose faite maintenant. Il n’avait jamais songé à devenir le Csar des Godommes. Une fois de plus, il prit sa décision de manière instinctive.
— Voilà une grave décision qui mérite réflexion, dit-il d’une voix ferme.
— Seigneur, nous vous supplions d’accepter, insista Zanak.
Yvain respira profondément à plusieurs reprises.
— Soit ! Je consens à recevoir votre hommage mais à la condition que vous m’obéissiez en tout. En cas de rébellion, vous serez châtiés.
Les quatre chefs tombèrent à genoux pour dire :
— Nous vous jurons fidélité.
— C’est parfait ! Mon cher Klut, allez aux cuisines faire préparer un solide souper pour mes hôtes. Zirkon, je connais la célérité de vos cavaliers. Dès demain, vous enverrez des messagers dans toutes les tribus pour annoncer cette union. Faites savoir que si une tribu attaque l’une des nôtres, je considérerai cet acte comme un affront personnel et ma vengeance sera terrible. Je n’hésiterai pas à brûler les villages rebelles et à emmener toute la population en esclavage.
Le chef des Lièvres hocha la tête, souriant.
— Vos ordres seront fidèlement exécutés. Avec une telle menace au-dessus de leur tête, même les plus vindicatifs se tiendront tranquilles et nous pouvons espérer vivre en paix.
— À la condition que le roi Karlus nous la laisse, soupira Orkal. Il dispose encore d’une armée et il pourrait aisément marcher sur Bania.
— Je compte mener prochainement une ambassade à Fréquor et signer un traité de paix.
— N’exigera-t-il pas une énorme rançon pour le dédommager des ravages que nous avons causés sur ses domaines ?
— Rassurez-vous, je ne céderai rien.
Kurly se dandina comme un ours dont il était le représentant.
— Pour marquer notre soumission à votre autorité, nous avons décidé de vous faire un présent.
Il claqua deux fois dans ses mains et la porte s’ouvrit pour laisser passer deux vieilles femmes vêtues de noir. Elles encadraient une silhouette drapée de blanc. Un voile sur sa tête dissimulait son visage et sa chevelure, ne laissant apercevoir que deux yeux noirs fendus en amande.
— Nous vous offrons cette jeune fille. Elle se nomme Laïka et sera votre esclave. Elle devra vous obéir en tout et vous pourrez la fouetter à votre guise.
— J’accepte très volontiers ce charmant cadeau et vous en remercie. Qu’on la conduise dans mes appartements.
Le trio sorti, Yvain reprit :
— En attendant que le dîner soit servi, nous prendrons quelques rafraîchissements. Je veux tout savoir de l’état de vos tribus. Avec un peu de chance, nous pourrions nous entraider en favorisant les échanges de marchandises.
*
* *
Le souper avait été réussi et le vin avait coulé à flot. Titubant et les joues écarlates, les différents chefs avaient regagné leur lit. Yvain avait su se modérer car il désirait garder l’esprit clair devant ceux qui étaient maintenant ses vassaux. Klut l’escorta jusqu’à son appartement.
— La soumission des principales tribus est la bienvenue. Cela vous mettra en meilleure position pour discuter avec Karlus si jamais il montrait des intentions agressives. Maintenant, je vous souhaite une bonne nuit.
Dans l’antichambre, les deux vieilles attendaient. Elles s’inclinèrent profondément devant Yvain en disant :
— Seigneur, votre chambre est prête.
Comme chaque soir, la pièce était éclairée par deux chandelles. Laïka se tenait debout, immobile. Sa chevelure brune avait été ramenée en une épaisse natte sur le sommet de la tête. Elle portait une simple chemise de toile fine qui ne masquait qu’imparfaitement une agréable silhouette. Ce qui frappa le plus Yvain fut le visage. Le teint était gris et les yeux reflétaient une peur immonde. De petites gouttes de sueur perlaient au front.
— Du calme, jeune fille, ironisa-t-il, je ne veux pas vous dévorer tout vif.
Elle s’effondra d’un coup à ses pieds et sanglota :
— Pitié, Seigneur. Je ne suis plus vierge ! Tuez-moi immédiatement mais ne me rendez pas à mon père. Sa honte serait telle qu’il me fouetterait à mort en place publique. J’ai vu le cas une fois dans mon village. Le dos de la pauvre fille était transformé en une immonde bouillie. Même morte, le père a continué à la frapper jusqu’à ce qu’il ne reste plus un pouce de peau intacte.
Yvain alla s’asseoir sur le lit et sourit en disant :
— Si tu me racontais simplement ton histoire, nous pourrions juger.
Toujours à genoux, elle se traîna vers le roi et murmura au milieu de sanglots :
— J’étais fiancée et nous devions nous marier dès son retour de guerre. Malheureusement, il n’est jamais revenu. Deux soirs avant son départ, il a insisté pour que je lui appartienne et j’ai cédé. Il était tellement fort que je ne pouvais imaginer qu’il serait tué.
— Inutile de souhaiter mourir pour cela. Ce sera simplement un secret entre nous deux.
Laïka secoua la tête sans cesser de pleurer et désigna la porte du menton.
— Là derrière, les vieilles… elles attendent pour voir le sang sur ma chemise.
— Nous pouvons arranger ce détail.
Yvain releva la manche gauche de son pourpoint et tira son poignard. Il entailla légèrement la peau de l’avant-bras et, quand le sang commença à couler, il l’essuya sur la chemise de la fille.
— C’est très généreux, Seigneur, mais elles voudront aussi voir les… traces masculines.
— Je vais me charger de ce détail si tu acceptes de te coucher.
— Quoi ! Vous voudriez encore de moi après ce que je vous ai dit.
— Que ne ferais-je pas pour aider une petite fille éplorée.
Laïka ne comprenait plus. Les premières expériences avaient été brèves et brutales. Elle pensait qu’il en était toujours ainsi mais ce soir, elle sentait une curieuse chaleur envahir son ventre tandis qu’une houle ample et puissante soulevait ses hanches. Quand elle se sentit exploser de bonheur, elle poussa un grand cri.
Derrière la porte, les deux vieilles se regardèrent, l’air entendu. Elles pensaient que le seigneur venait de franchir en force la porte de la forteresse.
Lorsque le calme fut enfin revenu dans son esprit, Laïka murmura :
— Seigneur, il faut maintenant que vous me fouettiez.
— Pourquoi ? Je n’ai aucunement à me plaindre de toi. Bien au contraire.
— Il est indispensable de prouver que je suis maintenant votre esclave sinon les chefs croiront que vous avez voulu seulement vous amuser mais que vous n’appréciez pas leur présent.
Elle sauta vivement du lit pour prendre sur la table la large lanière de cuir qu’une des vieilles avait déposée. Elle la tendit à Yvain avant de s’allonger en retroussant haut sa chemise.
Ce dernier haussa les épaules et frappa une première fois.
— Plus fort, maître, il faut que les marques soient bien visibles.
Il ajouta cinq coups qui zébrèrent nettement l’épiderme puis laissa tomber la lanière. Laïka se jeta à ses pieds et les embrassa.
— Seigneur, vous êtes merveilleux. Vous m’avez sauvé la vie. Désormais, elle vous appartiendra jusqu’à ma mort.
Elle se releva, esquissant un pas de danse, et sortit rapidement. En se recouchant, Yvain marmonna :
— C’est la première fois que je fouette une femme et il faut qu’elle me remercie à genoux.
*
* *
Dix jours passèrent encore, occupés par Yvain à visiter ses terres. Maintenant, il terminait par le domaine de Takim, celui qui avait quitté Pendarmor. Il fut accueilli avec déférence par ce dernier dans une ferme fortifiée. La grande salle était mal éclairée par deux étroites fenêtres et il y régnait une odeur désagréable de sueur, de crasse et même de pourriture.
Takim désigna un tabouret à Yvain et s’assit en face de lui, de l’autre côté de la table. La jeune Laïka avait décidé de ne plus quitter son maître aussi le suivait-elle partout. Dès qu’Yvain prit place, elle vint s’agenouiller derrière lui.
— Soyez le bienvenu dans ma misérable demeure. C’est le seul bien qui me reste après toutes ces campagnes.
Deux servantes apportèrent des coupes d’étain qu’elles déposèrent sur la table et Takim en poussa une vers Yvain.
— Buvons à l’honneur que vous me faites en me rendant visite.
La voix était chargée d’une amère ironie. Avant qu’Yvain ait pu saisir son gobelet, Laïka se dressa et d’un mouvement rapide prit la coupe et la porta à ses lèvres. Elle allait la reposer quand un frisson la saisit. Son teint vira au violet et elle glissa lentement vers le sol. Yvain la saisit dans ses bras tandis qu’elle murmurait :
— Takim… Je me méfiais de lui… Il avait le mauvais regard.
Un frisson la secoua et elle s’immobilisa. Définitivement. Xil s’était précipité et souleva le corps tandis qu’Yvain se tournait vers Takim en prenant son médaillon dans son pourpoint.
Ce dernier était blême et restait immobile sur son tabouret. Soudain, il se dressa en hurlant :
— Oui, j’ai voulu t’empoisonner, t’éliminer. Tu n’es pas un Godomme et tu n’as aucun droit d’être le Csar. Ce titre me revenait de droit. Radjak était mon cousin et je suis son seul parent. Donc, je devais légitimement lui succéder. Tu as volé mon trône et tu méritais de mourir. Maintenant tue-moi avec cette arme maléfique puisque tu es trop lâche pour combattre.
Sous l’insulte, Yvain pâlit. D’un geste, il retint Klut qui voulait s’élancer sur Takim. Il tira lentement son épée en disant :
— Le poison est une arme de lâche. Nous allons voir maintenant ton courage. Je te promets qu’aucun de mes hommes n’interviendra.
Avec un cri rauque, Takim fit trois pas, l’épée levée. Yvain para un premier coup destiné à son crâne. L’homme était plus gros que musclé et manquait de puissance. Peu désireux que le combat s’éternise, Yvain attaqua à son tour. Feinte au corps, feinte à la tête, un dégagement et il se fendit à fond. Sa lame transperça le thorax au niveau du cœur. Takim s’effondra, les yeux emplis d’étonnement. Il mourut avant d’avoir compris ce qu’il lui arrivait.
— Vous êtes témoins que le duel fut loyal, dit Yvain en remettant son épée au fourreau. Enlevez ce cadavre. En punition de sa traîtrise, son domaine est confisqué.
Voyant Xil qui tenait toujours le corps de Laïka, il songea qu’il n’avait apporté à cette pauvre fille qu’un bien court sursis. Elle avait sacrifié sa vie pour préserver celle de son maître.
— Veille à la faire enterrer dignement.
La nouvelle de la mort de Takim s’était rapidement répandue et plusieurs dizaines de personnes s’étaient regroupées dans la cour. En réalité, elles ne manifestaient aucune hostilité. Leur maître était brutal et souvent injuste. Aussi l’idée de passer sous l’autorité directe du Csar ne leur était pas désagréable car elles avaient eu connaissance par des voisins de la manière dont il traitait ses paysans.